mardi 12 janvier 2010

LES REMERCIEMENTS DE L'ÉCRIVAIN

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LE COLÉOPTÈRE ENDÉMIQUE DE LA CORDILLÈRE AUSTRALE,  DÉDIÉ À FRANCISCO COLOANE: CEROGLOSSUS DARWINI COLOANEI.  PHOTO ERIC JIROUX





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LETTRE DE REMERCIEMENTS DE L'ÉCRIVAIN FRANCISCO COLOANE. 

vendredi 8 janvier 2010

Entretiens Avec Francisco Coloane


Le prétexte en est un film de rencontres où le patriarche de Chiloé raconte, sans complaisance, mais avec une saine jubilation, les avatars de sa longue existence. 

Celui qui nous a tant ravis en nous faisant la chronique du Cap-Horn, des chasseurs de baleines et de phoques, des terribles colères de l'océan à Magellan ou au canal de Beagle, où Darwin, lors de son expédition, perça l'évolution des espèces, revient ici sur ses aventures de loup de mer, ses tribulations à travers les chenaux de ces terres déchiquetées et les blocs de glace dérivant de l'Antarctique, nous dévoilant alors l'envers du décor et de ce nomadisme en terre froide - injustement appelée Terre de Feu . 


Au demeurant plus Chilote que Fuégien, Coloane rappelle sa naissance sur la mer. La maison de ses parents était, en effet, bâtie sur pilotis au-dessus de la mer, si bien qu'à marée haute toute cette carcasse de bois clapotait comme un bateau. Les bonheurs d'écriture de cet immense conteur qui n'a eu qu'un modèle, Joseph Conrad et son Lord Jim, viennent d'abord du bonheur de son enfance, relayé plus tard par une jouissance à vivre et à aimer.


Cet enfant a toujours dormi en tenant dans sa main un pan de la chemise de sa mère, comme raccordé chaque nuit à sa génitrice ; plus tard, il s'accrochera de même au vêtement de sa fidèle Eliana, père et grand-père comblé, contemplant son existence comme une victoire sur la nature hostile, et toisant d'un regard narquois son grand âge et son triomphe contre l'adversité. Une fois de plus la leçon est profitable ; elle est faite de foi en l'homme, en sa capacité, par la seule force de sa raison et de sa volonté, à l'emporter sur les titanesques éléments.
© Notice établie par DECITRE, libraire
Livre : Entretiens Avec Francisco Coloane
Auteur : Francisco Coloane
Editeur : Terre De Brume
Collection : Caravelles
Langue : Français
Parution : 20/04/2004
Nombre de pages : 80
Dimensions : 24.00 x 14.00 x 0.70

mardi 5 janvier 2010

Ceroglossus darwini coloanei

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Ceroglossus darwini coloanei

L’entomologiste français Eric Jiroux, qui étudie depuis des années les coléoptères endémiques de la cordillère australe, a dédié une nouvelle sous-espèce à Francisco Coloane : Ceroglossus darwini coloanei. Un double hommage au naturaliste Charles Darwin et à l’écrivain Chilien, qui ont fréquenté et décrit -chacun à sa façon- les lieux extrêmes du Sud du monde.

Images Ceroglossus darwini coloanei


Ceroglossus darwini coloanei



Ceroglossus darwini coloanei




L’entomologiste français Eric Jiroux, qui étudie depuis des années les coléoptères endémiques de la cordillère australe, a dédié une nouvelle sous-espèce à Francisco Coloane : Ceroglossus darwini coloanei. Un double hommage au naturaliste Charles Darwin et à l’écrivain Chilien, qui ont fréquenté et décrit -chacun à sa façon- les lieux extrêmes du Sud du monde.

lundi 4 janvier 2010

Antartida

Avec ce septième titre paru en français (publié pour la première fois en 1945) on aura fait le tour de l'oeuvre de Coloane — en attendant que le vieux chasseur de Chiloé, qui fêtera ses 90 ans peu avant la fin du siècle, ne se décide enfin à publier la mythique Histoire des Naufrages sur laquelle il travaille depuis plusieurs années.
L'on retrouve ici le climat du Dernier mousse, soit un retour — un de plus — à cette part d'enfance qui continue de veiller en chacun de nous et qui demeure sans doute, quoi qu'en disent les gens sérieux, la meilleure vigie, la mieux alertée, de l'humaine aventure.
Alejandro et Manuel Silva, deux enfants du grand Sud chilien, affrètent un cotre — l'Agamaca — pour aller trafiquer par-delà le Cap Horn, dans les riches eaux de l'Antarctique. Ils prennent à leur bord un sergent de l'armée, en rupture de ban, et le dénommé Félix, un Indien Yaghan qui connaît le Sud comme son âme. Le voyage est des plus chaotiques, la digression maritime imposant sa manière au récit lui-même, tout en détours et changements de cap.
Il est d'abord question du naufrage dramatique d'un bateau allemand, puis d'une goélette de pirates voleurs de bétail, puis d'un ermite reclus en sa grotte après avoir mené grande vie et qui raconte à nos héros sa drôle d'existence, puis du mythe Yaghan — assez bouleversant, avouons-le — du manchot-fantôme dévoré par les siens… avant que le modeste esquif ne se décide enfin à pointer son beaupré droit au sud.
Baleines bleues, lions de mer, icebergs… l'Agamaca s'engage dans un chenal bordé de falaises de glaces qui se referment sur lui comme un piège. L'on songe ici à Edgar Poe, celui des Aventures d'Arthur Gordon Pym, à qui un discret hommage est rendu entre les lignes du récit. Car l'Aventure majuscule, dont le signe est inscrit au blason de chacune de nos vies minuscules, impose au voyageur de ce bas monde de jeter de temps à autre un regard vers l'issue du chemin — quitte à en devenir fou.
Comme toujours chez Coloane, le récit hésite, d'assez déboussolante façon, entre la naïveté adolescente et la franche cruauté : mais n'est-ce pas là façon de résumer l'essentiel de tout parcours humain — soit une fiction gouvernée à égalité par de trop grands rêves et par une réalité dont le contact est toujours blessure. Nul pessimisme au demeurant à ce constat, puisque cette violence en nous et hors de nous, au diapason d'un climat qui semble ne connaître d'autre registre que celui de l'excès, assumée et bientôt transmuée en un sentiment de douloureuse fraternité pour tous ceux qui en bavent, nous est presque un élixir : l'un de ces alcools forts dont nous avons besoin pour ne pas périr de froid, c'est-à-dire d'ennui.
Septième et dernier titre de l'oeuvre de Coloane, qui s'est imposé en quelques années comme « le Jack London du Grand Sud » (Alvaro Mutis). Aventures en Antarctique, placées sous le signe adolescent — et fatal — du Gordon Pym de Poe. Pour tous les enfants de 7 à 177 ans.

dimanche 3 janvier 2010

Naufrages, par Francisco COLOANE


Naufrages se veut un peu comme le testament de Coloane. Un testament de sa façon : qui fait parler haut l'aventure marine… et qui nous rappelle que l'aventure, justement, n'est jamais aussi belle que quand elle prend le risque de courir à l'abîme. « Après avoir passé près d'un siècle sur cette planète un écrivain ne peut plus décemment s'intéresser qu'à un seul thème : le départ — et même, disons-le bien crûment, le naufrage. »
La nef du capitaine Coloane vogue pourtant encore bon train, ainsi qu'on pourra s'en rendre compte à la suivre ici dans sa course. Le vieux marin, pour cette fois, évoque moins ses propres aventures que celles de tous ceux qui l'ont précédé ou accompagné en mer.
Encore enfant, c'est à la lecture d'un récit de naufrage qu'il découvre la beauté de ce qu'il appelle « le risque de vivre », et qu'il décide de ce que sera sa vie : il naviguera, et il écrira. Revenu de tout ou presque, il imagine ici ce que pourrait être « une anthologie des plus beaux naufrages »… ce qui pour lui revient à dresser « une sorte de catalogue d'événements extrêmes qui seraient comme la condensation même de l'existence ».
L'histoire marine du Grand Sud à elle seule lui fournit ample moisson de prodiges (le recueil classique de Vidal Gormaz a accompagné Coloane pendant toute sa vie, et il le cite d'abondance). C'est qu'il est peu de parages au monde où le risque de naviguer est si grand… et où l'homme se soit si constamment confronté au pire.
On l'aura compris, le personnage central de ces récits, c'est la Mer elle-même, dispensatrice de la vie et de la mort, inspiratrice de trop grands songes… et ordonnatrice distraite de ce que nous appelons le Destin. Elle avale et recrache, escamote des paquebots, jette un taureau vivant sur un rocher solitaire, livre les naufragés à la merci des Indiens sauvages (qui oublient parfois de les traiter avec cruauté)… On dit qu'on s'en remet à elle, mais a-t-on vraiment le choix ?
Mystère d'entre les mystères, elle est à l'image de cette entité obtuse que nous appelons Réalité… et qu'il nous arrive de diviniser pour ne pas avoir à admettre qu'elle n'est qu'une des figures de cet Absurde qui tout gouverne. Un homme qui sent la mort approcher convoque ainsi, une dernière fois, les fantômes de ceux qui, avant lui, s'affrontèrent à la plus grande aventure, à la plus grande énigme (Melville est du nombre).
Il dresse la carte d'un long rêve toujours prêt à virer au cauchemar, en interrogeant les Instructions Nautiques qui tout au long de sa vie furent sa bible et sa boussole — et règle au passage sa dette envers les livres qui ont accompagné sa route.
Comme toujours chez lui, tradition orale et littérature se bousculent d'une histoire à l'autre. Le charpentier du bord, ainsi qu'à son habitude, n'a pas trop pris la peine de raboter son récit. Il n'a jamais su faire un livre bien élevé, bien léché. Mais celui qui sait lire et écouter entend à travers la rumeur de ces pages une voix inoubliable : celle du dernier griot des mers du Sud… anxieux de sauver du naufrage un passé qui, demain, risque de terriblement nous manquer.

samedi 2 janvier 2010

Le Passant du bout du monde



Elles sont une quarantaine de soeurs surgies des grès tertiaires, qui se protègent de l'érosion océanique, des raz-de-marée et des éruptions volcaniques.

Un jour j'ai voulu revoir la maison où je suis né, au bord de la mer, mais elle avait été emportée par le temps et la dernier colère du Pacifique, lorsque la quasi-totalité de l'archipel de la mer intérieure de Chiloé s'était retrouvée un mètre au-dessous du niveau des eaux. Ce fut l'une des conséquences du tremblement de terre et du raz-de-marée de 1960.

Arrivé au seuil des quatre-vingt-dix ans, un homme qui veut se souvenir de son enfance doit prendre garde à ne pas trahir la réalité de ce qu'elle fut. J'ai vu des enfants de trois ans faire et dire des choses que je n'ai rencontrées que chez de grands artistes ou des poètes. Qui recueille ces oeuvres d'art? Personne, bien sûr, pas même la mémoire de ces enfants.

N'est-il pas grotesque qu'un vieil homme tente de se souvenir de l'enfant qu'il a été?

Essayons donc de descendre de ce rocher abrupt. Je suis né sur la côte orientale de la Grande Ile de Chiloé qui protège, de sa base granitique détachée de la cordillère côtière, les petites îles éparpillées entre le canal de Chacao et les bouches du Guafo.
La vie de cette région est rythmée par le flux et le reflux océaniques qui obéissent aux cornes de la lune — et peut-être à celles qui se cachent au delà des astres —, et par les pluies semées par la rose des vents.
Il pleut là-bas de mille manières : rafales mugissantes tombées d'un ciel noir, intarissables sanglots célestes transperçant le coeur des vivants qui entrent en communication avec leurs morts reposant dans des cimetières de coquillages, larmes d'animaux aquatiques ou mythologiques tapis au fond des eaux, violentes giclées pareilles à celles des holothuries enfouies sous le sable, ou coups de poings des tempêtes qui s'abattent du ciel. «Le Diable se chamaille avec sa femme», entend-on dans la pénombre des foyers paysans. «Ils compissent le ciel et la terre» réplique le dernier vieux rescapé du dernier naufrage.
Les grands alerces conservent dans leur sève la pulsation de trois millénaires de sanglots. Le mañiú acoustique les reproduit dans ses charpentes et les muermos en fleur dans la suprême intelligence du miel des abeilles.Parfois, le déluge se déchaîne pendant quarante jours et quarante nuits. On ne sait plus d'où viennent les pleurs. Ciel et terre se retrouvent mêlés aux poissons, aux oiseaux, aux créatures aquatiques, aux cuchivilus de la boue, aux traucos de la forêt, aux camahuetos des ravins, aux veuves volantes, aux millalobos, aux sorciers et démons hérissés d'oreilles et de queues.
Ainsi venons-nous au monde, nous les Chilotes, et ainsi mourons-nous, enfermés dans notre scaphandre cosmique, guidés par les lumières et les ombres du ciel et des abîmes. Un mauvais jour ou une nuit funeste, les grandes vagues d'un raz-de-marée s'engouffrent dans les gueules de l'océan et nous emportent pour nous laisser, tel un astronaute, perché sur les branches d'un coihué.
C'est ce qui arriva à un pêcheur d'huîtres d'Ancud lors du tremblement de terre de 1960. Retrouvé vivant, il reprit la mer. Il est difficile de pénétrer dans les cavernes de l'esprit d'un enfant chilote. Celui d'un vieil homme est plus facile à comprendre. Des enfants, poètes ignorés, on sait bien peu de choses; on les pousse à prendre telle voie plutôt que telle autre, si bien qu'ils choisissent rarement leur destin. Ils jouent avec le premier bout de bois qu'ils trouvent à la dérive, lui ajoutent un mât, un gouvernail et le remettent à l'eau, prêt à appareiller au moindre souffle de brise. Ainsi suis-je parti dans la vie.


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En sept chapitres — le premier, de loin le plus développé, consacré à l'enfance dans l'île sauvage de Chiloé —, sont évoqués quelques-uns des aspects majeurs d'une existence qui aura été surtout vécue à contre-courant de la loi commune.
C'est d'abord la vie d'un gamin inquiet, soumis à la férule d'une mère intraitable qui gouverne la maisonnée de main de maître, en l'absence du père, chasseur de baleines et capitaine de remorqueur rarement là, et qui meurt quand le petit Francisco a tout juste neuf ans en prononçant ces trois mots magiques : « Reprenons la mer. » Une vie placée très tôt sous le signe d'une âpreté qui ne se discute pas, qui gardera toujours la force des hautes évidences. Puis la fuite vers le Grand Sud, où l'adolescent partage plusieurs années durant l'existence, libre et plutôt brutale, des gardiens de troupeaux. Puis l'engagement politique aux côtés des socialistes révolutionnaires. Puis le départ en mer pour une carrière qui tourne court. Puis la bohème à Santiago, fraternellement partagée avec Pablo Neruda, l'ami de toujours, qui l'encourage à écrire (Le Dernier mousse et Cap Horn paraissent coup sur coup, en 1940 et 1941). Puis la grande expédition dans l'Antarctique : ce sera LE voyage de sa vie — qui alimentera nombre de ses livres, source documentaire et onirique jamais tarie. Puis d'autres voyages encore — en Inde, en Russie, en Mongolie, en Chine —, souvent pour rejoindre d'autres écrivains à la table d'un congrès dont il n'aura pas grand-chose à dire… car l'homme ne l'intéresse vraiment que dans sa confrontation avec les climats extrêmes. Puis l'exil intérieur avec la chute de l'ami Allende et la triste dictature des généraux. Enfin ces autres voyages qui accompagnent dans les tout derniers temps la découverte — tardive — de son oeuvre à travers le monde, et qui le conduisent tout spécialement en France (l'un de ses fils habite Gap), et en particulier à Saint-Malo, dernier port d'attache. Avant de reprendre la mer…
En relisant ces quelques lignes, on s'aperçoit qu'on a essayé de mettre en ordre un livre qui n'en demandait pas tant, un livre aussi rebelle que la tignasse de son auteur. Coloane, proustien sans s'en douter, se fatigue vite de la chronologie, fait silence sur ce qui l'ennuie (et risque d'ennuyer son lecteur), préfère se laisser guider par un souvenir repêché, une image entêtante, une odeur perdue et miraculeusement sauvée des eaux de l'oubli. C'est la musique du coeur, avec ses battements insistants, qui rythme le récit et l'organise — si l'on peut dire. Car toujours chez Coloane la logique du discours est tenue de céder le pas à l'émotion, maîtresse capricieuse mais ambassadrice des plus hautes surprises. Mais le plus étrange ici (pas si étrange, après tout, aux yeux de qui aura lu ses autres livres entre les lignes) est peut-être le climat intime qui baigne ces confessions tout ensemble violentes et pudiques. Rien de triomphant en effet dans ce récit, où le candidat à toutes les bourlingues, le fort en gueule, le vieux dessalé nous livre qu'une angoisse n'a jamais cessé de le tenir (dans tous les sens qu'on voudra bien donner à ce mot) : celle qui déjà, aux premières saisons de la vie, faisait ruer dans les brancards le gamin Panchito, bizarrement tourmenté par l'insatisfaction d'être là, et qui au fond jamais n'acceptera d'être arraché à la terre promise de l'enfance. Cette amertume que l'on n'attend pas, et qui fait virer sournoisement au sombre tous les grands récits de Coloane, est donc une fois de plus au rendez-vous. C'est elle qui donne à son oeuvre ce goût si âcre, et qu'on n'oublie pas. Le subtil distillateur sait de quoi il retourne : c'est à elle qu'on reconnaît les grands alcools, ceux qui tirent leur force même des injures du temps.
Coloane nous réservait une sacrée surprise : un ultime « roman » qui n'est rien de moins que le récit de sa vie, menée de bout en bout à contre-courant de toute prudence. Un appel à tous les vents du large — qui sortira en mai, quelques jours avant que le film Tierra del Fuego ne soit présenté à Cannes.

Cap Horn


Cap Horn (libretto), par Francisco COLOANE

LA VOIX DU VENT

— Même les oiseaux deviennent féroces sur cette terre maudite ! proféra la femme du berger en dégageant la neige accumulée sur le seuil du ranch.
— Encore un mouton aveugle qui lutte contre le vent ? demanda Denis, de l'intérieur.
— C'est le cinquième répondit la femme. Tout va mal dans ce trou perdu !

Cela fait des jours que tu tournes en rond le couteau à la main sans la moindre bête à saigner !

Tu me fais peur quand tu me regardes comme ça, le doigt sur le fil de la lame. Au printemps, ce sont les aigles qui dévorent les agneaux à même les entrailles de la mère ; en été, les mouettes traversent la cordillère pour venir éventrer les oies sauvages, et en hiver voilà ces maudits caranchos qui crèvent les yeux des moutons à coups de bec !Le vent mugissait sur la plaine gelée, soulevant les nuées de neige qui voilaient l'horizon,telle une mer démontée dont les vagues éclateraient au loin en gerbes cendrées.
La petite maison du poste 22 de l'estancia China Creek, en Terre de Feu, faisait songer à un récif isolé au milieu d'un océan poudreux.Lucrecia mit ses mains en visière pour évaluer la distance.
Luttant contre les furieuses bourrasques, un mouton aux yeux crevés avançait péniblement, escorté d'une petite bande de caranchos. Il se déplaçait comme les animaux enivrés par une herbe toxique, s'immobilisant brusquement, puis repartant pour une course brève, les jambes étrangement raidies, comme s'il marchait sur le feu.

Le Sillage de la baleine, par Francisco COLOANE


Nous sommes dans la fiction, dans une fiction résolument romanesque même, mais comme toujours chez Coloane à la lisière de l'autobiographie. Dans la première partie du récit (« L'Île ») le jeune Pedro Nauto, à peine sorti de l'enfance, découvre d'un coup la violence du métier de vivre : la mort (celle de sa mère, dont on retrouve le corps flottant parmi les algues), la brutale mais chaude amitié des hommes qu'il côtoie dans les bouges de Puerto Montt — tricheurs professionnels, mauvais garçons en quête d'oubli, marins perdus —, l'amour enfin, en la personne de la mystèrieuse Rosalia…
Ce premier volet du roman qui évoque les travaux et les jours de la grande île australe de Chiloé, où Coloane comme son héros a vu le jour, a la force et l'évidence des anciens films de Flaherty (on songe à L'Homme d'Aran) : une brassée d'images sidérantes, qui fouettent le regard, le violentent même, mais qui ne se laisseront pas facilement oublier. Pedro est un bâtard, qui souffre de n'avoir pas connu son père. Recueilli d'abord par un grand-père cupide, il sait très tôt qu'il devra tailler sa route tout seul. Il quitte les siens, accepte un peu tous les métiers, se frotte à quelques rêves trop grands pour lui, et finit par embarquer à bord du Léviathan, un baleinier qui fait route vers l'Antarctique, commandé par le capitaine Julio Albarran, vieux loup de mer au bout du rouleau.
S'ouvre alors la seconde partie du récit (« Baleine droit devant ! »), âpre odyssée où Coloane, qui partagea en ses jeunes années la vie des derniers chasseurs de cétacés, rend compte d'une épopée qui n'est plus, avec ses orgies de sang, son cortège halluciné de privations et de souffrances physiques, sa familiarité avec tous les dangers, ses bordées sauvages dans les ports du bout du monde. Cette fois, c'est le personnage de l'étrange capitaine qui domine la scène, figure d'un père de songe — qui pourrait bien être le vrai, tant la réalité la mieux tangible, chez Coloane, s'associe naturellement avec le mythe, avec le rêve. On vogue sur une mer bien réelle, on se heurte durement aux rochers de granit, aux paquets de mer glacés, aux assauts inouïs du vent.
On touche du doigt toutes les rugosités du vaste corps de Dame Nature. Mais tout se passe comme si la vie, dans l'immédiateté obligée de la sensation, se devait malgré tout d'être vécue comme une légende ; comme si le réel n'était jamais que le petit nom de la chimère qui veille en nous. Du coup, le naufrage final, attendu — espéré ? —, sera vécu à la fois comme une agression terriblement physique et comme une sorte de rituel, prélude à une délivrance. «Naufrage » : fin mot de toute histoire — ce que Coloane n'a jamais cessé de nous rappeler.
L'on voudra bien se souvenir aussi que l'auteur, fils d'un capitaine baleinier disparu quand lui-même avait neuf ans, a mis dans cette narration exemplaire non seulement ses obsessions d'homme du Grand Sud, sujet extrême d'une humanité extrême, mais l'expérience de toute une vie vouée au bel excès. Le résultat est une sorte de roman total, ébouriffé, violent et généreux (comme il se dit de certains alcools qui vous brûlent le corps et l'âme).
Un roman aussi peu « civilisé » qu'il se peut, ennemi de la mesure et de la précaution, mais ouvert comme aucun autre sur le vaste mystère du monde. Rappelons-nous ce que disait Neruda : « Pour embrasser Coloane, il faut ouvrir des bras longs comme des rivières ».
Le Sillage de la Baleine passe pour le Moby Dick de Coloane : une sorte de roman total où il a conjugué tous ses rêves d'homme du Grand Sud et son expérience de « travailleur de la mer » à bord des derniers baleiniers. Pour nombre de critiques, le chef-d'oeuvre du grand écrivain chilien.

Cronología

Cronología de Francisco Coloane (1910-2002)

  • 1910 Francisco Coloane nace en Quemchi, el 19 de julio
  • 1923 Llega a Punta Arenas, a estudiar en el colegio de los sacerdotes salesianos de esa ciudad
  • 1927 Gana el primer premio de las Fiestas de la Primavera de Magallanes
  • 1932 Contrae matrimonio con Manuela Silva
  • 1941 Se publican El último grumete de la Baquedano y Cabo de Hornos, de Francisco Coloane
  • 1944 Luego de enviudar, se casa con Eliana Roja
  • 1956 En Santiago, recibe el Premio Municipal de Cuento
  • 1957 Obtiene el Premio Anual de la Sociedad de Escritores

  • 1964 Francisco Coloane recibe el Premio Nacional de Literatura
  • 1968 Es declarado Hijo Ilustre de Quemchi
  • 1971 Editorial Quimantú edita El chilote Otey y otros relatos
  • 1980 Francisco Coloane es nombrado miembro de la Academia Chilena de la Lengua
  • 2000 Se publican Los pasos del Hombre, memorias de Francisco Coloane
  • 2002 Muere en Santiago, a los 92 años de edad, Francisco Coloane, una de las voces más importantes de nuestra literatura

vendredi 1 janvier 2010